Résidence 2014/2015, Lenaïc GRAS
« Tot s’hi val ! « ,
Quête hétérotopique – imagination de la ruine et de l’invisible.
Projet artistique et pédagogique en milieu scolaire
Le projet :
Le projet comporte plusieurs volets qui trouvent leur cohérence autour du travail universitaire déjà engagé par l’équipe dirigée conjointement par Sophie Avarguez et Aude Harlé, toutes deux maîtresses de conférences en Sociologie à l’Université de Perpignan Via Domitia et auteures de la publication : AVARGUEZ Sophie (dir.), HARLE Aude, JACQUEZ Lise, DE FISSER Yoshée, Du visible à l’invisible : prostitution et effets-frontière. Vécus, usages sociaux et représentations dans l’espace catalan transfrontalier, Baixas, Balzac éditions, Collection L’univers des discours, 2013.
À la lecture du compte rendu de recherche il apparaît désormais que ce travail, loin d’être un aboutissement, doit donner lieu à une série d’actions concrètes, tout particulièrement en direction des adolescents et des jeunes adultes.
La question de la prostitution qui sévit aujourd’hui à notre frontière doit être traitée à plusieurs échelles. De notre point de vue il apparaît important d’impliquer le public scolaire dans une réflexion d’ensemble sur ce sujet.
Le lycée Déodat de Séverac à Céret a souhaité s’engager dans cette démarche en fédérant l’action de différentes institutions. Au cours d’une année scolaire, les élèves du lycée sont impliqués autour d’un double travail pédagogique et artistique avec au final une publication numérique de l’ensemble des travaux réalisés (publication coordonnée par l’artiste et le CDI du lycée).
Le volet artistique :
« A la frontera tot s’hi val » : cette expression, reprise maintes fois lors des entretiens menés auprès des habitants de la Jonquera à propos du développement de la prostitution dans leur ville, est à la fois le point de départ de notre réflexion et son aboutissement. Cette expression difficile à traduire « à la frontière tout se vaut», « à la frontière tout est possible » ou encore « à la frontière, tous les coups sont permis » reflète les spécificités de ce territoire et du phénomène prostitutionnel. Cette expression est détournée d’une expression populaire bien plus ancienne « Per carnaval tot s’hi val » soulignant une des spécificités de cette fête au cours de laquelle tout était permis, où les limites pouvaient être transgressées.
Sophie Avarguez et Aude Halé abordent la notion d’ «hétérotopie» dans leur publication. Pour les jeunes garçons des Pyrénées-Orientales, la pornographie représente «l’utopie» d’un plaisir sans limite mais aussi d’une virilité exacerbée. La fréquentation des clubs de prostitution représente « l’hétérotopie » (Michel Foucault, 1967) c’est-à-dire la concrétisation de cette « utopie », son incarnation, son inscription dans un territoire et dans un temps déterminé, la possibilité de passer du fantasme à l’acte et à la performance sexuelle. L’analyse permet de les rapprocher de la notion «d’hétéropie disneyenne» décrite par Charles Perraton ( 2004 ). Cette approche se vérifie en effet au niveau de l’organisation et du fonctionnement (extrait de la synthèse de la publication ).
Description de la résidence – interventions – 60h :
– Elaborer et réaliser un «carnet de regards» grâce à un carnet de note et à des outils graphiques variés puis singuliers permettant les rebondissements d’idées et les schèmes de projets artistiques de l’élève.
– A plusieurs occasions, Lénaïc G présentera un certain nombre d’artistes ayant travaillé de près ou de loin sur les thématiques citées dans le plan-profil pédagogique présenté ci-après ( exemple de thèmes : stéréotype, genre, sexualité, prostitution, pulsion, hyper-modernité, valeur marchande, performance, valeurs traditionnelles, injonctions contradictoires, fantasme, frontière, hétérotopie, … ). Ces présentations seront l’espace d’échanges, de débats, d’études et de réflexions sur des thèmes présélectionnés selon le plan-profil pédagogique ci-après – choix concerté entre auteures/sociologues, professeur, artiste.
– Développer le point de vue et interroger les frontières au pluriel.
– Encourager l’exploration et la pratique du «carnet de regard»
– Intégrer/(re)définir des références et recherches (tous supports) afin d’élaborer son point de vue.
– Exposer les (Hétéro)créations résultant du «carnet de regards».
Tout au long de ce chemin pédagogique, l’artiste accompagnera les élèves dans les CONCEPTIONS et CREATIONS d’hétérotopies multiples et uniques sur leur «carnet de regards»: conseils techniques, systèmes de notations, schémas…
Plan-Profil pédagogique :
1 – Comment se construit l’image de ce que doit-être une femme et un homme sur le territoire géographique des Pyrénées-Orientales ? ( Septembre-Octobre-Novembre )
a. Qu’est-ce qu’une «idée reçue» ?
b. Qu’est-ce qu’un stéréotype de genre ?
c. Qu’est-ce qu’un stéréotype de sexualité ?
d. Qu’est-ce qu’une hétérotopie ? (À prévoir : 10 à 20h dont un déplacement à l’UPVD pour une communication de 20min à l’écoute d’un intervenant universitaire)
2 – Comment se construit l’image de la prostitution sur le territoire géographique transfrontalier ? ( Novembre-Décembre-Janvier )
a. Qu’est-ce que la prostitution selon une équipe de sociologues ?
b. Qu’est-ce que la prostitution selon un/e consommateur/e ?
c. Qu’est-ce que la prostitution selon la presse ?
d. Qu’est-ce que la prostitution selon la/le prostitué/e ?
e. Qu’est-ce que la prostitution selon votre regard d’adolescent/e scolarisé/e catalan/e ?
3 – Comment se construit autrement un monde sans stéréotype et sans prostitution ? ( Janvier-Février-Mars )
a. Peut-on vivre mieux sans discrimination de genre et de sexualité ?
b. La diversité est-elle dissoute ? Uniformité ? Singularité ? Repère ?
c. Peut-on vivre mieux sans prostitution ?
d. Imaginons les hétérotopies supprimant les stéréotypes de genre et de sexualité et la prostitution ?
e. Imaginons les hétérotopies des prostitué/e/s catalanes ?
Une façon de donner de la visibilité à un point de vue dissimulé, grâce aux autres acteurs passifs périphériques de ce même territoire.
Nomenclature des différents modules d’intervention :
– A – «Introduction» : présentation de Lénaïc G. artiste peintre, du projet, du calendrier, des modules, d’une œuvre de Lénaïc G., … réactions, questions…
– B – «Observation» : Présentation et études des concepts phares du projet ( 01 / Stéréotype ; 02 / Prostitution ; 03 / Hétérotopie ) – Références artistiques, littéraires, sociologiques, historiques, humaines contemporaines.
– C – «Laboratoire» : Recherches et création collectives autour du carnet de regards et des concepts phares d’après références pré-citées.
– D – «Atelier» : Expérimentations en autonomie (accompagnée et soutenue) par le dessin, la peinture, l’écriture, le son, la vidéo,… dans l’approche de l’installation.
– E – «Monstration» : Exposition commentée librement des œuvre projetées depuis le carnet de regards.
– F – «Visite» : déplacement à l’extérieur accompagné ( 01 / UPVD ; 02 / Atelier d’Artiste ; 03 / Musée de Céret)
– G – «Cosmos» : Choix concerté de passages des carnets de regards des jeunes artistes, donnant lieu au développement globale et à des ajustements d’interprétations artistiques des 3 concepts phares, «projectionssage» (dans une salle du Musée de Céret ).
Ces œuvres plastiques et/ou sonores seront les instruments de réalisation de l’e-publication conçue par l’Artiste (suivie par la documentaliste du Lycée) sur les mois de Avril, Mai, Juin 2015.
Sous la forme d’un livre électronique réalisée par l’Artiste en concertation avec les différents acteurs du projet, cet outil de réflexion artistique sera donc disponible dans tous les CDI situés sur le territoire catalan… Et ailleurs…
Le volet scolaire :
En Sciences Économiques et Sociales :
Le programme de Sciences sociales en première ES comporte 3 chapitres.
• Les processus de socialisation et la construction des identités sociales
• Groupes et réseaux sociaux
• Contrôle social et déviance
L’ensemble de cet enseignement sera construit à partir du travail de recherche universitaire sur la frontière et la prostitution.
Les problématiques spécifiques :
Les normes et les valeurs qui orientent les conduites vers les pratiques et les usages de la prostitution.
La prostitution : quelle identité sociale. Le ou la prostitué(e) : quel statut ?
Socialisations et identités plurielles.
Le groupe social et le réseau comme vecteurs de pratiques.
La prostitution une pratique de groupe et de réseau ?
Les formes de régulation de la prostitution (les lois).
La frontière comme espace anomique (« Tot s’hi val »)
Prostitution entre conformité et déviance.
Prostitution et délinquance.
Projet de classe :
Il s’agira, à partir de cet enseignement, de construire, parallèlement au projet artistique, une réflexion sur cette question laquelle donnera lieu à un travail de publication numérique coproduit avec le CDI.
La partie du programme de Première ES consacrée à la sociologie sera traitée dès le premier trimestre (de septembre à décembre)
Les travaux personnels encadrés (TPE) seront tous centrés sur ces problématiques. Exceptionnellement, les interventions des universitaires seront destinées à aborder la méthodologie de la recherche en sciences sociales.
Les heures d’Education Civique Juridique et Sociale (ECJS) seront consacrées à cette étude et tout particulièrement au développement d’une réflexion sur le cadre légale et règlementaire.
L’accompagnement Personnalisé poursuivra deux axes : d’une part, une réflexion sur le projet d’orientation (meilleure connaissance de la formation universitaire) et d’autre part, une réflexion sur la méthodologie du travail personnel.
L’artiste : Lénaïc Gras
Née dans les environs de Bordeaux en 1983, Lénaïc G. passe son enfance entre mer et montagne dans les Pyrénées-Orientales, enfance souvent ponctuée de séjours dans sa Bretagne maternelle sur l’île de Houat.
Son chemin croise celui du design graphique en 1995, rencontre qui la conduit à rejoindre le lycée de la Camargue à Nîmes pour suivre un parcours en arts appliqués d’où elle sort diplôme en poche en 2001. La même année, elle intègre l’École supérieure des arts décoratifs de Strasbourg où elle obtient son diplôme avec mention en 2006, option Communication, atelier Didactique Visuelle. Elle s’installe alors près des Albères où elle vit toujours et poursuit ses recherches et son travail de création dans son atelier : « La lumière ici permet d’imaginer quelque chose d’ailleurs que l’on a la chance d’observer seulement en voyageant ». A la Recherche du Temps.
«Je suis témoin d’une époque artificielle et turbulente, alors je n’informe pas, je ne dérange pas, j’observe, je réfléchis et je range autrement.» Lénaïc G.
Le genre, «Gender», est une thématique importante de l’artiste souvent combinée à celles de la poésie, de la narration et de l’humain. Elle envisage la narration comme un exutoire ; ces histoires racontées aspirent la gravité des situations quotidiennes ou pas. Jamais sans issue ! La poésie, quant à elle, serait le passage étroit vers la connaissance ; forme intelligente de l’humanité, version de l’intime au regard du monde. Le voyage – rêvé ou réalisé – cultive des imaginaires qui deviennent des mots devenant à leur tour images et sons… Aussi fait d’échanges, de rencontres – avec des gens ou avec des choses – il permet de se définir dans un espace qui n’est pas toujours en accord avec nos volontés. La vie, le passage forcé ou une invitation à distinguer les repères en mutation. Les recherches avancent, les coïncidences et les contractions humaines déclenchent le besoin irrépressible de créer. Une gestation conceptuelle et temporelle non quantifiable. Le médium étant choisi efficacement ( peinture, vidéo, dessin, écriture… ) selon le concept réalisé et exposé aux regards des contemporains. Visuelles, Sonores… Ses installations captent l’attention du visiteur car son corps est sollicité par-delà les yeux. Son déplacement importe tellement : il prend conscience de ses limites ou de ses capacités endormies… «J’explore et manipule mon imaginaire de façon à créer des espaces visuels hybrides et incongrus. L’action des couleurs, des lignes et des mots converge. De cette manière, les éléments picturaux et graphiques gardent une portée abstraite et onirique, voire une dimension inexplicable. Je ne m’intéresse pas tant au sens du détail qu’à la visée globale de la réflexion : l’occulte processus du ressouvenir. La virtuosité ne serait qu’un imaginaire collectif imposé qui éloigne la singularité imaginative de l’individu pour permettre l’existence de la diversité.»
Les recherches et réalisations actuelles de l’Artiste portent sur les notions de frontières humaines et géographiques, la «géopoétique» (d’après les écrits de Kenneth White ).
La réalisation de la résidence:
La résidence a débuté au lycée Déodat de Séverac en ce début d’année scolaire, en septembre 2014.
Télécharger le compte rendu de la résidence Tot s’hi val.
Dans le cadre de la semaine des Droits des Femmes, Lumière d’Encre à présenté le travail réalisé en résidence au Lycée Déodat de Séverac pendant l’année 2014-2015 de l’artiste Lénaïc Gras sur la prostitution.
Ce travail réalisé avec des élèves de seconde économique et social a abouti à la publication d’un livre numérique et a reçu le premier prix.
Cette présentation devant des jeunes et lycéens des Pyrénées Orientales à eu lieu au palais des Rois de Majorque lors d’une journée thématique sur la lutte contre la prostitution.
Cette journée s’est faite sous la présidence de la présidente du Conseil Départemental et de la secrétaire d’état chargée des personnes handicapées et de la lutte contre les exclusions qui a fortement soutenu le projet.